"L'hospitalité, c'est notre Art"
Ca se passe dans une épicerie, entre une théière et six hommes du grand Sud, lorsque deux cyclistes entrent à la recherche de la sacro- sainte boîte de sardines, indispensables à la forme de nos mollets, à l'huile, indispensable à nos chaînes ensablées. Des sardines ils n’en n'avaient pas. Mais ils avaient sur la braise, du thé noir bouillant, à point. Le repos s'imposait. Nous paraissions à leurs yeux, si fatigués. Deux cageots de Coca retournés en guise de siège nous accueillirent. Il nous restait à déguster le délicieux breuvage.
C'est au sein de ce conseil des sages que nous rencontrons un peintre en bâtiment de Montmartre qui venait finir sa retraite sous le soleil d'Allah, au milieu de ses sables et des siens. Sa nostalgie de la France nous fit découvrir la Tunisie et son âme...
Deux ailes de kérosène peuvent procurer toute la liberté en très peu de temps. Paris-Jerba-Tozeur ; trois heures après notre départ, nos bicyclettes découvraient les premiers déserts du "pays proche". La pub n’avait menti qu'à propos du soleil. Il n'était pas au rendez-vous.
D'oasis de désert en oasis de montagne, nous découvrîmes très vite le défi quotidien des peuplades bédouines ou berbères : la lutte contre le sable pour les unes, la fuite devant les glissements de terrain pour les autres. L'absence de végétation sur les sols arides laisse au vent et à l'eau tout le loisir de modeler les reliefs. Si ces sculptures naturelles offrent au touriste de passage des souvenirs extraordinaires, elles imposent aux oasiens un combat de chaque instant. Balayer, balayer encore, balayer toujours, devant sa porte et ses fenêtres, orner le faîte des dunes de palmes pour enrayer la course folle de la poussière, retenir l'eau et la terre trop rares par des murets et terrasses, chercher la source, canaliser la pluie pour mieux la garder, pour mieux la partager... Dans cette mer de sable, l'eau représente tout. Rien à voir avec notre quart de tour au robinet. Elle est le plus beau cadeau de la nature ou du nomade qui la transforme en pain cuit sur le sable ou en thé sucré.
Et comme la pluie avait généreusement arrosé ce début de printemps, le Sahara, sur notre passage avait déroulé son tapis de fleurs. Les vacances scolaires qui précèdent la fête de l'Aïd avaient vidé les villages de leurs cris enfantins, de leurs poules et troupeaux de chèvres, moutons ou dromadaires pour goûter aux parfums de ces multiples corolles qui nous étaient inconnues. Le sable, très généreux, faisait même pousser d'énormes champignons blancs semblables à nos vesses de loup. Les mômes les dénommaient "truffes du désert". Moins délicates que celles du Périgord, elles accompagnaient les succulentes grillades de gazelle, braconnée la nuit par le chef de famille. Le désert, c'est aussi le silence. Lorsque le crépuscule fait tomber le vent de printemps, la quiétude allume, un à un, chaque diamant de la voûte céleste. Délicatesse ultime, la lune voilée nous laissa admirer une majestueuse comète.
Bir Soltane, Ksar Ghilhane... Les kilomètres de piste vers le Sud puis l'Est nous laissèrent de plus en plus seuls, avec les cailloux pour unique préoccupation. Il nous fallait progresser sur la bonne trace sans déchirer nos précieux pneumatiques car notre inconscience avait jugé la roue de secours superflue. Ca nous a valu un brin de couture sur la fin du voyage. Le fil et l'aiguille furent aux hernies d'un de nos pneus ce que la colle et les rustines furent aux trois autres chambres à air.
Pour rejoindre la "civilisation", il nous fallut plonger sur Chenini par une piste qu'un flirt permanent avec l'oued avait transformée en chaos de rochers envahis par les fleurs et les têtards. Emotion intacte à l'apparition de sa trop célèbre mosquée blanche.
Témoins d'un passé où les tribus berbères trouvaient refuge sur les pitons rocheux face à l'invasion arabe, les "ksour", par leur architecture audacieuse enchantèrent chacune de nos étapes. Tous valaient le détour et l'ascension ; abandonnés, pour nous servir de gîte et de promontoire dominant le crépuscule et l'aurore, vivants, pour être transformés en souks ou hôtels , intacts, pour tout simplement conserver l'orge et les jarres d’huile comme autrefois, à Ksar Ouled Soltane.
De montagne en colline, d'oued en palmeraie, il nous restait à flâner sous les oliviers séculaires de "Jerba la douce" en longeant ses criques de sable blanc. Sur cette île, ce furent les nombreux enfants en vélo qui nous servirent d’aimables guides et compagnons. Quelques délicieuses expériences "couscoussières" ou pâtissières nous firent découvrir d'autres "cornes de gazelles". Enfin, un hammam un peu trop décapant pour nos cuirs desséchés mais délicats nous fit regretter les douches oubliées.
Si les multiples invitations au partage n'avaient dû être écourtées par la contrainte moderne du temps, nous aurions volontiers loupé l'avion. Quand par magie, une musulmane dévoile son beau sourire pour vous tendre la main avant d’en effleurer ses lèvres et vous souhaiter " bon voyage ", la rencontre n’est-elle pas réussie ?
" Nous y reviendrons, inch Allah ".
Allez-y, vous verrez !
Mars 1996.
Infos pratiques :
Voici quelques infos cyclistes sur le Sud tunisien et un aperçu de l'itinéraire.
Nous sommes partis de Jerba accessible par vol charter, vol intérieur non commercialisé pour Tozeur négocié sur place avec le chef d'escale de l'aéroport de Zarzis. C'était plus intéressant, plus simple et plus rapide qu'un louage. En vélo : Tozeur, Nefta, Chebika, Tamerza, Midès (gorges et très jolies oasis de montagne), Moularès, Metlaoui, El Mahassen, traversée du Chott El Jerid, Kebili, Douz, Zaafrane (dunes blanches), (jusqu'ici, les routes sont bonnes).
Piste de Douz vers l'est (C 105) Bir Ghézene, (sud) Bir Soltane, Ksar Ghilane (sable par endroit) dunes de sable "rouge", cap à l'est à la boussole en suivant des traces plutôt que des pistes (difficile : cailloux, 50km max/jour). Arrivée superbe à Chenini (jolis paysages), Tataouine, (direction sud) Ksar Ouled Soltane (superbe), (région des ksours, villages fortifiés sur les sommets, jolis mais ça grimpe à chaque coup, jamais décevant) Krachaoua, Tataouine (festival berbère en avril), Guermessa, (alternance de routes et bonnes pistes) Ghomrassen, Ksar Hadada, (jolis paysages) vers Medenine, (dir ouest vers Beni Kheddache, El Hallouf (très belle montagne), Toujane (l'accueil se dégrade dans cette très belle région, bcp de touristes en 4 x 4 qui vont à Matmata sans s'arrêter, jets de cailloux occasionnels par les enfants. S'arrêter près des aînés du village, on a ainsi la paix), Matmata (rien à voir malgré la pub pour les maisons troglodytes), retour vers Jerba par de bonnes routes via Beni Zelten, Mareth, Jorf, tour de l'île de Jerba (touristique mais quelques jolis coins).
Fréquence très faible des voitures, inexistantes sur les pistes du Sud. Accueil extraordinaire partout (sauf à proximité de Matmata !) Beaucoup parlent le français. C'est super pour le contact.
Nous avons presque tout fait en camping le plus souvent sauvage. Il est souvent inutile de se faire à manger quand on n'est pas dans le désert. Le couscous maison et les briks à l'oeuf se trouvent partout où il y a du monde. Excellent rapport qualité/prix.
Quant au choix de la saison, nous étions partis trois semaines du 10 au 30 mars 96. Nous n'avons pas souffert du tout de la chaleur. Températures fraîches dans le désert. Un peu de pluie, parfois beaucoup de vent. Aucun problème pour trouver de l'eau dans le désert. Le printemps y attire les bergers et animaux. Il y a de l'herbe et beaucoup de fleurs. L'eau des mares était filtrée.
Les routes et pistes étaient globalement bonnes sauf la traversés de Ksar Ghilane vers Chenini.
Bref, c'est un souvenir assez exceptionnel pour les relations avec les gens. La pause thé est très souvent "imposée" par les gens rencontrés. C'est super et il faut du temps...beaucoup de temps pour savourer.
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